Dopée à grand renfort de campagnes publicitaires, la fréquentation du Creux-du-Van est telle en été que certains pâturages bordant le cirque autrefois verdoyants qui abritaient une flore riche et rare faite d’orchidée sauvages et autres gentianes sont aujourd’hui pelés par les pas pressés de nombreux touristes parfois débarqués par car entiers aux abords de la ferme du Soillat.
Le Creux-du-Van est un site emblématique du canton de Neuchâtel. Devenu une réserve naturelle en 1870 sous l’impulsion du Dr Louis Guillaume, elle s’agrandit avec l’aide du Club Alpin Suisse (CAS) qui achète 25 hectares de terrain supplémentaires au sommet du cirque en 1876. L’endroit est alors un sanctuaire apprécié par la faune et prospère pour la flore.
Sous l’impulsion de l’inspecteur cantonal de la faune d’alors, Archibald Quartier, la réserve accueille progressivement des espèces disparues de nos contrées en raison de la pression cynégétique d’alors: le chamois tout d’abord qui a désormais reconquis la plupart des crêtes jurassiennes, le lynx qui en a fait de même en toute discrétion, et même des bouquetins, invités alpins qui se sont parfaitement acclimatés dans ce cirque rocheux qui leur offre un terrain de jeu rêvé.
Malheureusement, la dernière décennie représente un tournant sombre pour ce coin de pays qui a été identifié par les édiles de Neuchâtel tourisme comme un « produit d’appel » permettant d’attirer le chaland à moindre prix dans le canton. A grand renfort de publicité dans les magasines sur papier glacé, la réserve naturelle du Creux-du-Van est peu a peu devenue un grand parc d’attraction où les intérêts de la faune et de la flore ne pèsent pas lourd face à la perspective de vendre une fondue ou une nuitée dans un hôtel de la région.
Les animaux sauvages et les amis de la nature cohabitent tant bien que mal avec la masse de touristes venant « consommer » le lieu en négligeant sciemment les quelques règles simples qu’il convient de respecter au sein d’une réserve naturelle, comme tenir son chien en laisse, s’abstenir de faire du feu ou de camper et reprendre son emballage de sandwich ou ses mégots de cigarette avec soi. Je ne parlerai pas ici des engins volants, en modèle réduit ou en taille réelle survolant les abords du cirque là où niche le faucon pèlerin ou près du lieu servant d’abri diurne aux jeunes bouquetins, ni les acrobates d’un jour tendant leur corde pile-poil où le tichodrome a ses habitudes…
Dopée à grand renfort de campagnes publicitaires, la fréquentation du Creux-du-Van est telle en été que certains pâturages bordant le cirque autrefois verdoyants qui abritaient une flore riche et rare faite d’orchidée sauvages et autres gentianes sont aujourd’hui pelés par les pas pressés de nombreux touristes parfois débarqués par car entiers aux abords de la ferme du Soillat.
Le respect de l’environnement est un pilier fondamental de ma pratique de la photographie naturaliste, et partager de beaux moments passés dans la nature est l’objectif que je me fixe chaque semaine au travers d’une publication sur ce blog. Malheureusement ma dernière visite au Creux-du-Van m’est resté en travers de la gorge et d’assister à la déchéance de ce lieu féérique sacrifié sur l’autel du tourisme de masse me désole profondément, d’où cet article fleuri…
Fort heureusement les animaux sauvages font preuve de ressources et savent contourner les difficultés causées par les humains pour survivre. Les chamois, marmottes et lynx qui se plaisaient aux abords du cirque ont pris du recul pour s’en éloigner, et reviennent admirer la vue en des temps moins agités, comme au début du printemps ou en automne.
Les bouquetins n’ont malheureusement pas la possibilité de fuir la horde de touristes affluant dans le seul biotope qui leur convienne dans la région. Bien que les mâles vivent retirés du troupeau en dehors de la période du rut, où ils retrouvent les abords du cirque, les femelles et les cabris dépendent des roches escarpées de la réserve pour survivre. Cette année aura été faste en terme de naissances chez les bouquetins. Quatre à cinq cabris ont vu le jour et sont venus agrandir la petite famille des bouquetins de l’arc jurassien. Leur nombre ne doit cependant pas masquer une natalité limitée et un taux de décès dans la première année de vie qui reste élevé, certains étant dus directement ou indirectement à la pression humaine (cabri qui chute dans le vide après avoir été poursuivi par un chien, ou qui ne peut pas se nourrir convenablement avant l’hiver en raison de multiples dérangements).
Par cet article, je tenais à exprimer un point de vue reflétant les échanges que j’ai pu avoir avec de nombreux naturalistes de la région au cours des dernières années. J’espère ne pas avoir été trop long, et vous propose quand même de découvrir le portrait d’un jeune cabri de bouquetin pris au soleil couchant dans la réserve du Creux-du-Van par un beau soir d’été. Une fois le monde parti, la petite compagnie était là et broutait paisiblement dans un pâturage où ils ont leurs habitudes. Couché dans l’herbe à bonne distance, je les ai observé durant une petite heure et ait claqué cette photo au moment où un cabri de l’année s’est glissé entre le soleil couchant et l’objectif.
En voyant cette image, j’espère de tout coeur que l’exploitation touristique sans limites du Creux-du-Van cessera rapidement, et que le crépuscule des bouquetins neuchâtelois ne sera pas pour demain…
Val-de-Travers, le 18 août 2014
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