Après de longs mois de sidération, la forêt sort lentement de sa torpeur hivernale. Les oiseaux dérouillent leur syrinx en s’adonnant à quelques vocalises, la tête nue des brocards se pare de velours, et les premiers bourgeons pointent timidement au bout des branches givrées. Bientôt les crocus coloreront les champs de leurs teintes blanches et violettes. L’hiver cédera alors sa place au printemps.
Aux confins de la saison froide, un chant particulier fait frémir la forêt jurassienne endormie. Après avoir passé les 11 derniers mois à s’éviter soigneusement, Monsieur et Madame Lynx se cherchent et s’appellent en feulant. A la fois bref et puissant, doux et rauque, mélodieux et glaçant, le chant des lynx amoureux ne passe pas inaperçu, à condition d’être au bon endroit au bon moment.
C’est cette douce mélopée féline que j’espérais entendre en me postant quelque part sur les hauteurs du Val-de-Travers. Le lynx y laisse régulièrement des traces de sa présence. Je m’installe donc à l’orée du bois et commence à rêver d’un passage félin dans ce beau décor forestier.
Le jour s’égrène et la forêt reste bien silencieuse. Le lynx ne se montrera pas. Tous sens en éveil dans le bois, les oreilles se mettent à percevoir des bruits de feuilles à contre-temps de la valse du vent. Le regard tente de fixer ce que l’ouïe lui suggère. Lorsqu’une feuille morte frémit, s’immobilise, puis bouge à nouveau, l’esprit commence à comprendre qu’un monde secret s’anime juste-là. Un petit être de quelques grammes apparaît soudain comme un diable sorti de sa boite. Il se dresse, puis fonce vers une souche en décomposition. Il se cache, ressort, repart se faufiler dans le tapis sylvestre.
En ce beau jour d’hiver, c’est le lynx que j’étais venu chercher, mais c’est finalement le campagnol roussâtre que j’aurai eu le plaisir de rencontrer. Une belle heure d’observation d’un micro-mammifère fort discret et quelques images auront fait de moi un naturaliste heureux et comblé.
A la lecture de ce carnet de terrain, certains se diront probablement que la montage a accouché d’une souris (ou plutôt d’un campagnol). D’autres se souviendront que pour traverser un long hiver dont on ne voit pas la fin, il est souvent préférable de se réjouir des petits bonheurs qui s’offrent à nous plutôt que de se focaliser uniquement sur un graal improbable…
Val-de-Travers, le 14 février 2021
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Magnifique 🙂 merci pour le partage.